Evaluer et valider

1 – Reconnaitre les compétences des bénévoles

Un livret européen de compétences

Des radios et fédérations européennes avaient lancé une action visant à concevoir un livret européen de compétences pour les bénévoles des radios associatives et communautaires. Ce livret, paru en milieu d’année 2014, prévoyait que le bénévole autoévalue ses acquis et qu’ils soient validés officiellement par les responsables des structures pour crédibiliser les compétences identifiées.

Ce document, très exhaustif dans le détail des compétences, posait deux problèmes pour être opérationnel à 100%.

  • Identifiant 199 compétences, il nécessitait, en moyenne, un entretien de deux heures entre le bénévole et le dirigeant pour bien identifier la définition de chaque compétence, bien repérer les nuances entre chaque compétence et se mettre d’accord sur le niveau atteint dans la compétence. Cette procédure passionnante et formative est apparue trop lourde et il a semblé que le futur lecteur, responsable de radio, ne prendrait pas le temps de tout lire et analyser. Une version « allégée » semblait s’imposer et le groupe EurEvalRadio s’est penché sur ce chantier.
  • Qu’est-ce qui prouve que l’évaluation faite par un dirigeant est fiable ou même tout simplement compréhensible ? En effet, si les radios associatives et communautaires se caractérisent par un statut et un attachement partagé à des valeurs comme le respect des droits humains, de la diversité et du droit à la parole médiatique de celles et ceux qui en sont exclus, elles sont toutes très diverses. Si elles sont en zone urbaine, de banlieue sensible, en zone rurale, si elles sont dédiées à la culture ou au divertissement, si elles ciblent un public jeune ou âgé, un public généraliste ou une communauté particulière, si elles sont de couleur rock, variétés, rap, jazz, chansons populaires traditionnelles, chansons engagées ou autres, si elles sont écoutées par des millions d’auditeurs ou quelques centaines, si elles disposent d’un équipement très ancien ou des dernières nouveautés numériques, si elles sont sur un fonctionnement intuitif ou au contraire hyper-structuré, si elles sont composées d’équipes jeunes, âgées ou multigénérationnelles, si elles sont engagées et marquées politiquement ou pas, soutenues ou pas sur leur territoire….. l’évaluation qui émanera de tous ces contextes variés et complexes sera évidemment subjective et d’une lisibilité très incertaine par d’autres radios. Si nous ajoutons les différences géographiques et de contextes de radios à l’échelle européenne, on mesure à quel point la bonne compréhension partagée des évaluations est un enjeu complexe. C’est pourquoi le groupe EurEvalRadio a souhaité repérer des typologies de radios, les critères de qualité mis en avant selon chaque type de radio, de façon à pouvoir mieux comprendre ce qui avait motivé une reconnaissance de niveau de compétences.

Dis-moi qui tu es, comme ça je saurai comment tu évalues

  • Lors du séminaire de dissémination, qui s’est tenu devant plus de cent personnes à Dublin en mai 2016, Eric Lucas a pris deux exemples pour démontrer que l’évaluation méritait parfois d’être analysée, non pas seulement du point de vue de la personne ou de la production évaluée, mais en s’interrogeant sur l’évaluateur. Il a cité, par exemple, l’élève qui rentre de l’école en disant « j’ai eu une mauvaise note mais ce n’est pas juste, c’est le professeur qui m’a mal noté » sous-entendu parce qu’il ne m’a pas compris ou parce qu’il ne m’aime pas, parce qu’il n’a pas pris en compte l’effort que j’ai fait ou tout simplement parce que les critères n’ont pas été bien expliqués et que rien ne justifie scientifiquement la note. Le deuxième exemple était celui de l’élève qui répond au sujet de philosophie « qu’est-ce que l’audace ? » et qui rend une copie blanche avec la petite phrase « l’audace, c’est ça » qui pourra être notée 0 sur 20 pour avoir rendu une copie blanche ou 20 sur 20 pour avoir clairement montré un bel exemple de ce qu’est l’audace. C’est bien la même copie, c’est bien le même auteur, mais les deux correcteurs sont différents car leurs attentes et leurs valeurs ne sont pas les mêmes.

2 – Evaluer

Une réticence naturelle

La question de l’évaluation est un sujet sensible. En effet dans ce monde des radios libres attaché aux valeurs de respect de la personne et des différences, au combat pour l’égalité sociale, citoyenne et professionnelle, il y a une réticence naturelle sur le principe d’évaluer. L’évaluation est trop souvent appréhendée comme un outil de classification et de hiérarchisation des êtres humains par le pouvoir indiscutable d’un évaluateur prétendument compétent sur un évalué dominé et soumis. Ce ressenti est le résultat du vécu d’évaluations dans le système scolaire par exemple, où on valorisait plus une production ou un résultat en conformité avec l’attente stricte de l’évaluateur, plutôt que des progrès réalisés par la personne ou d’autres points de vue que celui de l’évaluateur.

Il a donc fallu d’abord bien percevoir que l’évaluation ne devait pas être envisagée comme un jugement sur la personne, action moralement et socialement totalement inacceptable, mais comme un atout de valorisation et de soutien à la promotion sociale ou professionnelle, à l’employabilité.

Qui suis-je pour me donner le droit de juger ?

Cet autre blocage provient de la réticence pour des dirigeants de radios libres à admettre leur pertinence à reconnaitre des niveaux de compétences et à s’arroger le droit de les valider officiellement. Il a été reconnu que si cela devait permettre de crédibiliser davantage les compétences affirmées par les porteurs du livret de compétences par exemple lors de démarches ultérieures vers l’emploi, il fallait le faire. Mais en toute conscience de la relativité des appréciations portées.

3 – Evaluer un acte délicat

Il faut avoir conscience de l’usage qui pourra être fait de l’évaluation. Un livret de compétences fournit des informations sur des compétences, c’est d’ailleurs pour cela qu’on l’appelle ainsi :

  • Ce n’est en aucun cas un document de « fichage » d’une personne ni un document pour « tracer » le parcours d’une personne. La démarche n’a rien de comparable avec ce que pouvaient être par exemple certains « livrets ouvriers » au 19ème siècle pour faciliter la communication entre patrons et les aider à repérer les esprits indépendants ou insoumis et les empêcher d’accéder à des emplois dans de nouvelles entreprises. Au contraire, le porteur du livret peut choisir ou non de le présenter à un employeur ce qui veut donc dire qu’il est libre de le mettre en valeur s’il considère qu’il pourra être un support complémentaire utile lors d’une candidature pour une fonction associative ou un emploi.
  • Deuxième différence : il n’est pas exigible par un responsable d’organisme ou un employeur. Ceci est valable dans la phase de lancement du livret de compétences et resterait valable même si l’ensemble du secteur s’appropriait cet outil : le livret est au service des porteurs, qui en disposent librement.
  • Il n’a pas pour vocation de faire apparaître des compétences manquantes mais de faire apparaître celles qui existent. En quelque sorte, le lecteur du livret ne devra s’intéresser qu’aux compétences évaluées figurant dans le livret et ne devra pas chercher d’extrapolations pertinentes ou impertinentes sur les compétences non renseignées, donc non évaluées. On ne regarde que la partie pleine du verre et non pas la partie vide.
  • L’évaluateur qui valide un niveau de compétences doit aussi s’assurer qu’il a les éléments objectifs pour le faire. C’est pourquoi, en cas d’incertitude, il est utile de consulter d’autres membres de l’équipe, pour avis, mais surtout d’entamer un dialogue approfondi avec le porteur du livret.
  • Du fait du poids ultérieur de cette validation, qui peut par exemple jouer sur une carrière professionnelle, l’évaluateur ne pourra valider que sur une base de consensus avec le porteur. Par-là, nous voulons dire que le dialogue qui s’instaure est presque aussi important, en termes de capacité d’analyse et de formation, que la validation finale.
  • Pour rendre l’acte, moralement si délicat, le moins aléatoire possible, l’évaluateur se doit de bien identifier ses critères et, pour chacun des critères, des indicateurs les plus concrets possibles.
  • Il lui est demandé, sur ces bases, en son âme et conscience, et sur les références qualitatives liées à l’identité de sa radio, et non pas des considérations générales abstraites, de passer à l’acte de validation.
  • On pourrait considérer comme vicié le fait de s’en tenir aux références qualitatives de sa propre radio. Mais, c’est ce qui permet de se rapprocher au mieux de l’objectivité. Le projet EurEvalRadio et le présent guide doivent permettre justement de comprendre les évaluations en fonction de la spécificité des organismes qui ont signé la validation.

4 – Evaluer un acte subjectif

Une évaluation indiscutablement fiable par une objectivité totale est impossible. Même un exercice sous forme de « Questionnaire à Choix Multiples » échappe à cette objectivité totale. En effet, le choix même des questions ou leur formulation ainsi que le contexte de disponibilité intellectuelle, physique ou psychologique de celui qui répond, influent sur le résultat. En comparaison, on sait par exemple comment on peut orienter les résultats d’un sondage d’opinion simplement par une formulation de question faite pour induire des réponses dans le sens attendu.

Les éléments de subjectivité principaux (car il y en a de nombreux autres) sur des compétences sont les suivants :

  • La personnalité de l’évaluateur
  • La personnalité de l’évalué
  • Le contexte professionnel
  • Le contexte conjoncturel
  • L’humeur du jour
  • La disponibilité d’écoute
  • Le temps consacré à l’évaluation
  • Le choix des critères
  • Le choix des indicateurs sur ces critères

On sait qu’il suffit parfois de faire une sélection intentionnelle et manipulatrice de critères pour tuer une évaluation…  

5 – Evaluer un acte positif

Longtemps, l’acte d’évaluation a été envisagé sous deux aspects :

  • la reconnaissance et la valorisation de la réussite
  • la sanction pour l’incompétence ou le manque d’efforts.

Notre mission ne peut que se vouloir positive en ayant en tête ce que le bénéficiaire pourra en tirer avantage, par exemple, pour l’insertion sociale ou l’employabilité. Toute autre approche serait en absolue contradiction avec les valeurs portées par les radios associatives et communautaires.